dimanche 15 juillet 2012

Vingt fautes par page, ce n'est plus rare...

Sud-Ouest du 12 juillet 2012

par Fanny Capel.
Professeur de français en Ile-de-France et membre du collectif Sauver les lettres, Fanny Capel dénonce l'abandon organisé de cette matière à l'école.

« Sud Ouest ». Selon vous, les bacheliers ont touché le fond, cette année, en français.


Fanny Capel. Depuis quinze ans, je fais partie d'un jury au bac ; la défaillance de l'orthographe n'a cessé de s'aggraver. Car, si les collégiens d'aujourd'hui ont le niveau d'un élève de CM2 d'autrefois, le niveau se creuse encore au lycée. À tel point que nous avons des consignes pour être indulgents lors des corrections. Dans mon académie de Créteil, la moyenne ne devait par exemple pas descendre en dessous de 8 sur 20. On nous a aussi demandé de ne pas enlever plus de quatre points par copie pour l'orthographe, sinon tout le monde aurait zéro, tant il n'est plus rare de relever 20 fautes par page.

La faute aux élèves, à leurs profs ou bien aux dommages collatéraux du langage SMS ?


Le langage Internet ou SMS consiste simplement à rendre phonétique la langue, ce qui a toujours existé. Cette lente dégradation n'a donc rien à voir avec une quelconque mutation des élèves que l'on prétend victimes des nouvelles technologies. C'est juste que l'on n'enseigne plus suffisamment le français à l'école. Entre 1976 et aujourd'hui, nous avons perdu huit cents heures d'enseignement de cette matière du CP à la seconde. Soit deux années entières ; c'est énorme.

Mais pourquoi le français serait-il le parent pauvre des programmes ?


Parce que l'on a fait un mauvais calcul en introduisant l'anglais et d'autres disciplines dès l'école primaire. Sauf que le français reste la base de toutes les autres matières, et qu'elles en pâtissent donc à leur tour ensuite. Il faut enfin expliquer que de nouvelles méthodes ont bouleversé l'enseignement du français au collège. Avant même de lui apprendre à faire la différence entre un verbe et un adverbe, on demande par exemple à un élève de sixième de maîtriser des notions universitaires comme les déictiques… On marche sur la tête ! Tout cela ne pouvait qu'aboutir à la bouillie que l'on trouve désormais dans les copies.

Loin d'être tous des cancres, les élèves ont en revanche progressé dans les matières scientifiques…

Je ne crois pas aux vases communicants. Tous les scientifiques sérieux vous le diront, on ne peut pas devenir meilleur en maths parce que moins bon en français. D'ailleurs, cette dégringolade du français frappe aussi le monde de la recherche, où la pauvreté du vocabulaire bloque parfois certains dans leurs raisonnements.

Et plus largement le monde du travail, où cette carence est un vrai handicap…

On constate déjà les investissements énormes que font les entreprises pour remettre à niveau l'orthographe de leurs cadres. Pour les autres, ce sera un vrai handicap lorsqu'ils voudront franchir des échelons dans leur vie professionnelle. Ce qui devient terrible, c'est que la maîtrise de la langue devient presque une exception, et donc le privilège d'une nouvelle élite.